LES DOLÉANCES AUX ÉTATS GÉNÉRAUX
DE 1789
Cahier des plaintes, doléances et remontrances des habitants du Tiers-état de la Paroisse de VEBRET.
Nous sommes dans le premier trimestre de 1789. En août précédant, le Roi LOUIS XVI avait, sous la pression, décidé de réunir les
États Généraux de la France, qui ne s'étaient pas réunis depuis plus de 150 ans. Et, grande nouveauté le
Tiers-état pourra faire entendre sa voix contre celle du Clergé et de la Noblesse.
Le 8 mars 1789, Jean-Noël BARRIER Juge, habilité par lettre du Roi en date du 24 janvier 89, convoque les représentants de la paroisse de Vebret (composée de 199 feux) Ces représentants âgés de plus de 25 ans sont au nombre d'une cinquantaine. (Beaucoup de noms ont disparus de la
commune).
Le cahier contenant les observations et doléances suivantes a été rédigé :
1) Que l'élection de Mauriac est celle de la Haute Auvergne qui est la plus chargée d'impôts ; qu'elle l'est du double au moins de celle de la Basse Auvergne.
(1)
2) Que pour la perception des impôts, les chargés du recouvrement accablent les Consuls et collecteurs de frais énormes.
3) Que cette surcharge d'impôts et de frais rejaillit en grande partie sur cette paroisse qui est imposée pour le principal de la Taille
(2), accessoire et Capitation
(3) pour une somme de 11 184 livres 11 sols 7 deniers.
Pour vingtièmes (4) à celle de 2 096 livres 17 sols 3 deniers.
Pour la contribution aux corvées à 560 livres.
Soit un total de 13 841 livres 8 sols 10 deniers (5).
Ces impositions sont énormes et exagérées, entendu que cette paroisse est d'un très petit produit. En effet, elle n'a qu'une petite étendue dont la majeur partie est en rochers, les terres extrêmement aqueuses et sablonneuses, et la petite partie qui se trouve dans le vallon ne produit que du fourrage de mauvaise qualité, comme de gros joncs et joncs marins, qui, bien loin de faire produire les bestiaux, les fait dégénérer et après quelques ans, ils deviennent si débiles qu'ils meurent tous.
Une petite rivière coupe le vallon, mais lors des fontes des neiges, ou des grandes pluies, elle roule des eaux avec tant d’impétuosité, qu’elle entraîne les digues qu'on lui oppose, pour défendre les héritages riverains et renverse les chaussées pratiquées dans son lit pour faire moudre les moulins et arroser les mauvaises prairies qui l'avoisinent.
Quand cette rivière déborde lorsque les prés sont en valeur, les flots monstrueux les inondent, courbant les herbes sous le sable, de sorte que la faux ne peut les couper, ni les bestiaux les manger tant le sable et l'eau bourbeuse qui les charrient leur a donné mauvaise odeur.
Lorsque les débordements arrivent pendant la fauchaison, les flots entraînent souvent les viellottes
(6) et les andains ce qui frustre l'espoir du propriétaire qui ne peut tirer parti que des endroits les plus élevés.
D'ailleurs les terres se trouvant parmi les rochers en pente sont très difficiles à travailler, très sujettes à des ravines ne produisant qu'une médiocre quantité de blé
(7) On y sème du blé noir
(8), mais cette récolte est très souvent enlevée par les bruines et les premières gelées ; et comme on ne peut semer du blé qu'après cette récolte, conséquemment fort tard, attendu le peu de terrain qui compose cette parroisse, il en résulte que la récolte de blé est des plus petites. Il ne se cueille que ces deux sortes de grains dans la parroisse.
Aucun pacage pour tenir les bestiaux, ni brebis pendant l'été, si quelque particulier veut élever de la "Brebaille", elle lui tombe en pure perte à cause du mauvais fourrage.
Indépendamment des impositions, la paroisse paye des cens
(9) et rentes considérables à quatre seigneurs laïcs, nobles, à un seigneur laïc, roturier et encore au seigneur Commandeur
d'Ydes dont les agents harcèlent les censitaires par des procès, au sieur prieur de
Vignonnet, au sieur prieur de Bort, et à la Dame abbesse de.. (illisible) et une cotité de dixième abonnée au sieur curé.
4) Que la paroisse n'a pas de presbytère, que jusqu'ici elle payait au sieur prieur de Vignonnet une somme de trente livres chaque année pour le loyer de la maison paroissiale située au lieu de Vebret ; maison qui s'est abattue depuis peu de jours de manière que les sieurs curé et vicaire ont été obligé de se réfugier provisoirement chez des particuliers de l'endroit qui ne peuvent les loger continuellement, en conséquence les remontrants sont tenus et obligés suivant les ordres royaux de faire construire une maison curiale qui leur coûtera au moins trois mille livres.
5) Qu'il a deux ponts très utiles au public et indispensables pour le service divin et pour faire venir les enfants aux instructions, que les remontrants ne peuvent se dispenser de faire rétablir, ce qui est encore une surcharge pour eux.
6) Qu'il n'y a dans la paroisse que de petites rues qui ne facilitent aucun commerce.
7) Qu'il s’est pratiqué un nombre de sentiers dans les prés et champs qui endommagent beaucoup les récoltes et qu’il serait bien utile de défendre.
8) Que le partage des communaux serait avantageux,
9)Et finalement que l'appel des causes jugées par le juge des lieux est porté au Baillage
(10) royal de Salers, et ensuite en la sénéchaussée de Riom éloignée de 16 à 20 lieues
(11) des justiciables de Salers dont la ville est quasi le centre.
Ces différents degrés de juridiction sont très dispendieux et il serait à souhaiter, et d'un grand intérêt pour le public, que le Baillage de Salers fut érigé en présidial
(12) ou du moins autorisé à juger définitivement jusqu’à concurrence d'une certaine somme ; et que le Baillage restant situé à Salers, il soit pratiqué de bonnes routes pour y aborder dans le mauvais temps ; et que les vacances de ce siège soient fixées au mois de décembre ou janvier vu la situation de la ville de Salers.
Le faire insérer dans le cahier des plaintes et doléances du Baillage de Salers, et les députés du dit Baillage, dans le cahier de l'assemblée de Saint-Flour, pour que leurs dires soient connus et qu'il y soit fait droit à l'assemblée des Etats Généraux.
Fait et arrêté en notre assemblée les dits jours et ans.
Ceux qui ont pu signer l'ont fait et les autres ont déclaré ne pouvoir le faire,
Suit une trentaine de signatures.(13)
Les cahiers de doléances de Vebret furent vite connus des habitants et ils firent alors des
comparaisons avec ceux rédigés par la paroisse d'ANTIGNAC. Tandis que dans ces derniers apparaissent les revendications de justice sociale, d'intérêt collectif ou de bien public, et surtout la pensée démocratique de son rédacteur qui fit abstraction des petits problèmes de sa paroisse. Ceux de VEBRET furent bien ternes aux yeux "des révolutionnaires" de l'époque en ne traitant que des problèmes locaux, qui, c’est bien évident, ne pouvaient être pris en considération en haut lieu.
Que sont devenues les doléances du "Tiers" de la paroisse de Vebret ?
Après être passées par Salers puis Saint-Flour et probablement Riom avant d'être transmise à Paris, il y a de fortes chances pour que n'aient subsisté que les problèmes d'imposition.
En ce qui concerne la qualité des terres dans la paroisse, je pense que les "remontrants"
(14) ont un peu noirci la situation.
N'étant pas spécialiste je ne me prononcerai pas sur leur valeur, mais si ma mémoire est bonne les récoltes de seigle et de sarrasin n'étaient pas aussi mauvaises que cela.
Quant aux bestiaux, depuis que j'en vois dans les prés avoisinants la Sumène je n'ai jamais constaté de signe de "débilité"... malgré les joncs qui subsistent encore au "pré de Jacques" et probablement ailleurs.
Notes :
1. Voir bulletin n°3 les protestations et pétitions du canton de Champs rattaché au Cantal
2. Taille : Impôt de répartition fixé par le conseil du roi, dont étaient exempt les Nobles et Clercs, en fait supportés par les masses paysannes.
3. Capitation : Impôt par tête, d'origine féodale, devenu impôt d'État sous Louis XVI et qui frappait surtout les non privilégiés.
4. Impôt institué en 1749 qui frappait de 5 % tous les revenus déclarés et qui était destiné à l'amortissement de la dette
5. 1 Louis d'Or = 24 livres ; 1 Ecu d'Argent = 6 livres; 1 livre = 20 sols ; 1 Sol = 4 liards ; 1 liard = 3 deniers. Sachant qu'à l'époque un veau de 8 mois valait 20 livres... Calculez les impôts de l'époque.
6. Meules de foin
7. Seigle
8. Sarrasin
9. Redevance payée par des roturiers à leur Seigneur
10. Tribunal jugeant au nom et sous la présidence d'un bailli
11. Une lieue environ 4 km
12. Ce qui correspondrait au Tribunal de grande instance
13. En cette même réunion (convoqués au son de la cloche) furent élus les deux "députés" chargés de transmettre les doléances au lieutenant général du baillage de Salers.
Ces deux députés étaient : MM Jean DELPEUCH Avocat habitant Pourcheret et Jean DELPEUX marchand de Courtilles.
14. Personnes ayant siégé pour rédiger ces "Remontrances" qui signalaient au Roi les inconvénients supportés par les habitants
Jean TOURNADRE.(Août 1993)
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